Kelly Reichardt est à présent une cinéaste établie, un grand nombre connaît la balade en forêt de Mark et Kurt (Old Joy), Lucy et sa maîtresse Wendy (Wendy et Lucy) : au tour maintenant d’un trio d’écologistes radicaux de montrer le bout de leur nez en 2013 avec Night Moves.
Le principe est simple, il faut faire exploser un barrage hydroélectrique. Le plan est déjà établi et l’on comprend que le bâteau – au nom du film : Night Moves – ne fera pas long feu, étant le principal armement.
Démarrant comme un film sur un simple trio de radicaux qui ne demande qu’à faire de leur plan une réalité, Night Moves s’échappe pourtant de ce fil conducteur pour dévier vers un véritable thriller. Nous n’aurons que très brièvement la raison précise de cette action, bien que nous en sachions l’explication globale grâce à une des premières séquences du film. Josh est filmé de face, et en hors champ une parole extradiégétique s’offre à nous. Un instant plus tard, il suffit d’un coup de montage pour que la caméra se glisse dans une salle où une projection a lieu. Nous n’en découvrirons pas réellement les images mais plutôt le discours, accompagné par le visage d’un certain nombre de personnes présentes.
« Le désastre que nous voyons se produit partout à la fois. L’heure tourne. Elle tourne depuis 150 ans, aux débuts de l’industrialisation. Nous sommes accros au profit et à la croissance perpétuelle, mais à quel prix ? Ce désastre affecte nos terres agricoles, nos océans, nos forêts, la faune et la flore, ainsi que notre climat. Quand l’humanité comprendra-t-elle que tout est lié ? Quand les multinationales comprendront-elles qu’on ne tire aucun profit d’une planète morte ? Mettons la révolution en marche dans le monde entier. »
Telle une armée, chaque visage de la pièce est filmé individuellement, tour à tour, mais nous les comprenons comme un seul et même groupe : des Hommes, vivant sur une planète affaiblie. Du recyclage à l’économie d’énergie, de la limitation d’achats compulsifs à la préservation de l’eau, chacun de nous voudrait faire son action pour tenter de sauver notre hôtesse bleue. Josh, Dena et Harmon choisissent à cela une solution plus impulsive : l’explosion.
Pourtant, les intentions et le plan bien établis et assurés, il n’en reste que les trois personnages, avant et après l’action, restent de marbre. La tension, la pression les guettent. Il est rare de voir un instant de relâchement dans le film, mise à part lorsqu’un promeneur les accoste et parle dans le vide aux trois camarades. De rapides rires et sourires illuminent l’écran avant que la nuit le recouvre. Même lorsque l’explosion aura lieu (en hors-champ) un simple ricanement coupera brièvement le silence dans la voiture.
Chacun doit se terrer de son côté, et ne prendre de nouvelle d’aucun autre membre. Mais lorsque l’on apprend qu’un campeur a disparu depuis l’explosion, Dena, prise de terreur, met fin au silence et contacte Harmon. D’un geste radical, sans intention meurtrière, seulement militante, naît alors une victime humaine. Sa mort se confirmera quelque temps après et c’est cette information qui prendra le dessus dans les journaux, plutôt que celle de l’explosion. Le film dépeint – plutôt que l’acte réellement –la conscience individuel de chacun : les remords et leur véritable personnalité, en particulier celle de Josh qui préfère tuer Dena. Les deux hommes, seuls rescapés de cette aventure, deviennent fantômes, laissant derrière eux deux morts et les restes d’un barrage.
Erwan Mas
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